Association La Joie de Vivre

CAMILLE  SAINT-SAËNS  -  L'ORATORIO  DE  NOËL

par Jeanne Rosé

L'oratorio de Noël a été écrit en 1858 alors que Saint-Saëns avait 23 ans. Il s'agit d'une œuvre de jeunesse du compositeur, puisqu'il est né en 1835 … et mort à 86  ans en 1921 !
Cet oratorio, composé en seulement 11 jours, du 4 au 15 décembre 1858, fut créé  lors de la messe de minuit de la même année.
L'oratorio de Noël s'avère représentatif de Saint-Saëns :

  • En effet, il se distingue par la simplicité, la clarté élégante de l'écriture, dépourvue de mondanité et de religiosité excessive, par sa richesse mélodique.
  • D'autre part, il nous propose une association réussie de différentes esthétiques. Evoquons dès maintenant les réserves des musicologues quant à la détermination d'un style propre à Saint-Saëns qui serait seulement … un mélange de styles ; on perçoit bien dans l'oratorio de Noël des influences très diverses, celle des cantates de Bach – dont Saint-Saëns ne se cache pas d'ailleurs, puisque l'oratorio s'ouvre sur un prélude sous-titré « Dans le style de Sébastien Bach » - , les souvenirs de vieilles chansons de Noël françaises, des réminiscences du début du « Quartetto serioso » de Beethoven ; un passage évoque les cantiques de Gounod, un autre Gabriel Fauré, le duo « Benedictus »  pour soprano et barytonest assez proche de l'opéra comique du style de Rossini.

Et pourtant l'oratorio de Noël, empreint d'une grande douceur, ne manque pas d'originalité, il séduit par ses accents de fraîche spontanéité et il est bien agréable de se laisser charmer par sa musicalité. Oublions les critiques et reproches  d'académisme, de manque d'inventivité dont Saint-Saëns a trop souvent injustement fait l'objet et ne boudons pas notre plaisir.

Camille Saint-Saëns (1835 – 1921)

Comment présenter brièvement et en termes justes Camille Saint-Saëns ? On se trouve alors confronté à quelques difficultés.

Enfant prodige, mais pas un Mozart !
Il n'avait que 3 ans lorsqu'il improvisa ses premières mélodies au piano.  A 5 ans, il maîtrisait parfaitement la technique pianistique. A 11 ans, il donna ses deux premiers concerts à la salle Pleyel où il fit sensation en jouant magnifiquement et de mémoire, notamment une interprétation du concerto n° 6 en si bémol majeur de Mozart auquel il donna sa cadence personnelle.
Il aurait pu faire une exceptionnelle carrière de pianiste soliste, n'eût été sa santé fragile. Il resta sa vie durant un pianiste virtuose.
Il manifesta également très jeune des dispositions pour la composition.

Dès l'âge de 13 ans, il entra au Conservatoire national tout en suivant de brillantes études générales. Très doué intellectuellement et curieux de tout, il  resta sa vie durant un passionné de botanique, d'astronomie, d'archéologie,de philosophie.
Doué d'une mémoire musicale phénoménale et d'un  extraordinaire talent de pianiste, il suscita l'admiration de grands musiciens contemporains dont Franz Liszt et Hector Berlioz.

Ses dons musicaux éclectiques se manifestèrent également très tôt à l'orgue. Organiste éblouissant – Franz Liszt l'a qualifié de « premier organiste du monde » - il fut nommé à 23 ans au poste prestigieux de maître de chapelle aux grandes orgues de l'église de la Madeleine où il fit donner dès la première année l'oratorio de Noël comme indiqué plus haut. Il resta 19 ans maître de chapelle à la Madeleine.

Si sa précocité a laissé certains de ses maîtres espérer en lui un nouveau Mozart, il était trop bon musicien pour savoir que son œuvre, toute féconde qu'elle fût, était loin d'égaler celle de Mozart !

Une carrière de près de 80 ans - Une oeuvre abondante et inégale
Il déclarait de lui-même : « Je vis en musique comme un poisson dans l'eau ». Assurément il voua sa vie à la musique ! Virtuosedu piano et de l'orgue, brillant improvisateur, il écrivit également de sa dixième à sa quatre-vingt-sixième année, laissant une œuvre considérable, faite de compositions plus ou moins inspirées. Il faut reconnaître que la veine inventive du musicien semble s'être parfois tarie, surtout dans les dernières années de sa vie. Il a alterné succès et déboires, même s'il a connu de son vivant le succès et la consécration. 

Le catalogue de ses œuvres ne laisse d'impressionner : musique sacrée, musique chorale profane, opéras, compositions pour piano et pour orgue, musique de chambre, musique symphonique et concertante,  musique de scène et même la toute première musique conçue spécifiquement pour le cinéma.

Et pourtant, que retient-on vraiment aujourd'hui de ce grand nom de la musique française ?

Lorsqu'on pose la question : « Qu'évoque pour vous le nom de Camille Saint-Saëns ? » on obtient en général la réponse : la Danse macabre (1874), Samson et Dalila   (1877) et le Carnaval des animaux (1886) ;  trois œuvres, totalement différentes, mais assurément très personnelles et originales.
Mais en ne retenant que cela, on ne rend pas justice au grand musicien français que fut Camille Saint-Saëns. Des chefs-d'oeuvre longtemps oubliés apportent un démenti flagrant aux critiques, trop générales, des musicologues. On a stigmatisé son esthétique très (trop?) classique, son académisme.  On lui a reproché de privilégier la forme, la perfection de la composition, au détriment de l'émotion et de l'inventivité. Il est vrai qu'il a affirmé :  « Pour moi, l'Art, c'est la forme. L'expression, la passion, voilà qui séduit avant tout l'amateur.  Pour l'artiste, il en va autrement.».
Cette « carapace » aurait-elle vraiment tué chez lui l'expression du sentiment et l'originalité ?

Saint-Saëns, ce n'est pas seulement «  La Danse macabre », « Samson et Dalila » et  « Le Carnaval des animaux. Il nous a laissé bien d'autres très belles œuvres, vraiment personnelles.  
L'oratorio de Noël en donne déjà un exemple.
Je ne saurais être exhaustive ; aussi me contenterai-je d'évoquer quelques chefs- d'œuvre de la maturité triomphante :
Le concerto pour piano n° 2 en sol mineur (1868), composé en 17 jours, lui valut l'admiration de Franz Liszt (« La forme en est neuve et très heureuse »), et de Clara Schumann (« Je profite de l'occasion pour vous faire savoir combien j'aime ce concerto ») . Il plait encore aujourd'hui par son lyrisme, son aspect tantôt brillant, tantôt émouvant.
Le quatrième concerto  pour piano et orchestre en ut mineur, de 1875, marque l'apogée du concerto chez Saint-Saëns.
Puis ce fut la symphonie avec orgue en ut mineur, page monumentale de 1877, écrite dans une période de ferveur créatrice, au sujet de laquelle Saint-Saëns confia à un de ses proches : « J'ai donné là tout ce que je pouvais donner. »

Camille Saint-Saëns, le musicien des contradictions
Il semble être né sous le signe des contradictions puisque, de santé précaire, menacé de mourir précocément de phtisie, il est décédé à l'âge de 86 ans !

Le mot d'anachronisme vient à l'esprit lorsqu'on évoque Saint-Saëns. Il fut souvent taxé de passéisme et il se trouva en constant décalage avec son époque.
Toute sa vie, il a révéré le classicisme bien qu'il ait vécu à l'époque du romantisme,
il a toujours préféré la forme et la clarté classiques aux grands débordements romantiques.

Cela ne l'a pas empêché d'être un admirateur fervent de Berlioz et de Wagner, les deux grands « révolutionnaires » de son temps en musique. Certes, son patriotisme intransigeant fit qu'il se détourna de Wagner après la défaite de Sedan en 1871, … mais il ne  put se défendre de continuer à reconnaître et admirer le génie du compositeur allemand. - une contradiction de plus ! -
A la maturité, période de sa meilleure production, il introduisit en France le poème symphonique, notamment avec sa fameuse « Danse macabre ».
Il fut également  co-fondateur de la SNM (société nationale de musique), grâce à laquelle il  donna une impulsion vigoureuse au renouveau musical et ouvrit la voie aux jeunes compositeurs français, jusqu'alors tenus à l'écart des grands concerts.

Alors, Saint-Saëns fut-il conservateur et novateur à la fois ? Oscilla-t-il entre tradition et création ?
Peut-on aller jusqu'à dire qu'il fut victime de sa trop grande longévité et de ses certitudes profondément ancrées ? Au tournant du XXème siècle, il est passé à côté de la mutation extraordinaire de la musique qu'il n'a pas comprise, condamnant par exemple les audaces de la jeune génération, Claude Debussy, Maurice Ravel, Stravinsky … , parlant amèrement de « pitres qu'on nous donne pour des génies ».  

Aussi, après sa mort, son nom et sa musique ont-ils vite sombré dans le passé. On l'a presque oublié pendant une bonne partie du XXème siècle. L'aurait-il pressenti lorsqu'une sagesse résignée lui inspira  cette réflexion extraite de son recueil de poésies de 1890 « Rimes familières » ? « Naître, vivre et mourir, c'est tout l'homme en trois mots... On s'en va sans laisser de trace. » 

Bien qu'il ait connu de son vivant une renommée internationale, qu'il ait été admiré des grands musiciens de son époque, Liszt, Gounod, Bizet, Berlioz, Gabriel Fauré, etc... et même ami de certains d'entre eux, malgré ses dons musicaux exceptionnels, sa place au nombre des grands compositeurs est encore discutée aujourd'hui.
Je ne souscris pas pour autant à la remarque perfide de Claude Debussy : « Monsieur Saint-Saëns  est l'homme de France qui sait le mieux la musique du monde entier . .. Cette science de la musique l'a d'ailleurs conduit à ne jamais consentir à la soumettre à des désirs trop personnels. » ou à celle, non moins perfide d'Hector Berlioz : « Il sait tout, mais il manque totalement d'inexpérience »  … Le même Berlioz qui, en 1857, lui avait décerné deux beaux  compliments : « C'est un maître pianiste foudroyant... et l'un des plus grands musiciens de notre époque. »

Son savoir encyclopédique, sa mémoire prodigieuse, son respect des grands maîtres du passé, sa faculté d'assimilation exceptionnelle, et même ses dons d'improvisateur brillant, qui ont tellement impressionné Franz Liszt, n'ont-ils pas été parfois une entrave à son inspiration et à sa composition ? La question peut légitimement se poser.

Un musicien inclassable, mais un grand nom de la musique française
Certes, il a subi des influences diverses mais il a su se les approprier et leur imprimer sa marque pour créer une œuvre personnelle, les repenser pour en faire quelque chose de neuf. C'est peut-être cela qu'on appelle : l' « indéfinissable style Saint-Saëns » .
D'ailleurs, par simple souci de justice, je me demande quel musicien n'a pas été influencé par ses prédécesseurs.
Où  se situe donc la vérité sur Camille Saint-Saëns ? Comment définir les notions de valeur artistique et d'invention ? Si l'on en croit Pascal, « l'imagination dispose de tout, elle fait la beauté. »
Soit ! En essayant de mieux connaître la musique de Camille Saint-Saëns, j'ai été séduite par la diversité – au sens positif ! - de ce qu'il a écrit. J'ai aimé la richesse mélodique, la clarté, l'élégance. J'ai  trouvé chez lui une grande qualité descriptive, de l'exotisme – curieux de découvrir de nouveaux horizons, il fut un grand voyageur -,  un véritable humour dans le Carnaval des animaux, bref de l'originalité. Et je me suis même laissée aller à l'émotion, n'en déplaise aux esprits critiques !
Camille Saint-Saëns nous a laissé de très belles choses. Il fut sans doute victime des changements de la musique du XXème siècle, victime aussi de reproches en grande partie injustifiés. 
Il représente dignement le « classicisme français » et a enrichi l'histoire de la musique de son apport personnel. En conclusion, je ferais confiance à Franz Liszt qui dans une lettre du 5 juillet 1867, lui écrivait : « … vous êtes des quelques-uns qui savent de quoi il s'agit aujourd'hui en musique, et le prouvez par vos œuvres. »  

Sources

  • Camille Saint-Saëns - Jean-Luc Caron et Gérard Denizeau - Collection horizons- Bleu nuit éditeur – 2014
  • Dictionnaire de la musique – Marc Honegger - Bordas - 1970
  • Saint-Saëns - correspondance inédite - La Revue musicale n° 358 – 360  - 1983
  • Dictionnaire encyclpédique de la musique - Robert Laffont – 1991
  • Une histoire de la musique - Robert Laffont - 1987
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