Association La Joie de Vivre

Qui était César Franck ? (1822 – 1890)

par Jeanne Rosé

« Quand on est quelqu'un, pourquoi vouloir être quelque chose? »
Ce mot de Flaubert s'applique bien à César Franck. Doux, discret, à la fois talentueux et maladroit, il allia pudeur et profondeur. Pianiste et organiste virtuoses, compositeur, extraordinaire improvisateur et remarquable pédagogue, il se distingua également par ses qualités humaines, sa grandeur d'âme, qui expliquent l'attachement filial de la fameuse « bande à Franck »*. Le personnage force également l'admiration par sa sincérité. Rien d'étonnant donc à ce que la vie de Franck, la personnalité de Franck, l'œuvre de Franck forment une unité indissociable.
Une enfance, une jeunesse dans l'ombre d'un père dominateur
César-Auguste Franck est né à Liège en 1822. Il montra très tôt des dons exceptionnels pour la musique, obtint entre autres un premier prix de piano au conservatoire de Liège en 1834. Son père, insupportable tyran, poussé par l'ambition, comme pour prendre une revanche sur une vie personnelle décevante, voulut faire de son fils un petit Liszt : il se transforma en véritable impresario et entreprit avec le jeune César-Auguste des tournées de concerts en Belgique et en Allemagne. En 1835, la famille Franck s'installa à Paris afin que César-Auguste fasse des études musicales approfondies : cours privés, puis entrée au Conservatoire en 1837. Un an plus tard, le jeune Franck remporta le premier prix de piano d'une manière extraordinaire, ainsi relatée par la presse : «Après avoir décerné tout d'une voix le premier prix à M. Franck, le jury est de nouveau entré en délibération, et M. Cherubini est venu dire : « le jury ayant décidé que M. Franck était hors ligne, personne ne devant partager avec lui, on donnera un second premier prix à ceux qui auront mérité le prix ordinaire». 
Dès son enfance et sa jeunesse, César-Auguste Franck connut une activité débordante ; toujours sous le contrôle de son père, intouchable statue du commandeur, il mena de front la composition (trois trios pour piano, violon et violoncelle en 1843), une vie de virtuose dans les concerts des salons parisiens, d'accompagnateur et de très jeune professeur surchargé parce qu'estimé.

L'envol
César Franck ne se libéra de la domination paternelle qu'après avoir rencontré Félicité Desmousseaux, une de ses élèves, qui fut sensible à sa personnalité. Cette rencontre et l'opposition de son père à l'amour qu'il considérait comme le grand ennemi, puisqu'il pouvait causer la ruine de tous ses projets, expliquent qu'en 1846 Franck quitta sa famille après une vive altercation avec son père. Il l'écrivit aussitôt à Franz Liszt : « Je vous annonce une grande nouvelle : depuis le mercredi 26 août je suis mon maître. […] J'ai été forcé de me séparer de ma famille. […] . Enfin mon père cède, c'est la première fois de sa vie que cela lui arrive ». Il se débarrassa alors définitivement de son deuxième prénom, Auguste : César-Auguste devint César Franck. Il épousa Félicité en 1848.
Une carrière en demi-teinte
Obligé désormais de subvenir à ses propres besoins, Franck continua à mener une vie de labeur incessant : pianiste accompagnateur, professeur, organiste, entre autres à Sainte Clotilde à Paris et compositeur.
Franck fit aussi partie de la Société Nationale de Musique que Camille Saint-Saëns créa après la défaite de 1870 afin de s'opposer à la musique allemande et de promouvoir la musique française. Il en devint même le président en 1886, après la démission de Saint-Saëns. En 1872, il obtint le poste de professeur d'orgue au Conservatoire.
Si le professeur et l'organiste furent toujours reconnus et admirés, le compositeur, en dépit de son génie, de l'admiration de grands musiciens de son époque ainsi que de nombreux autres artistes, rencontra rarement de vrais succès et subit même bien des échecs. Sans doute parce que ses œuvres ne correspondaient pas au goût du siècle. Peut-être aussi parce qu'il était timide, un peu trop rêveur et timoré. C'est ce que remarqua fort justement Romain Rolland : « Le génie de Franck fut le plus beau titre de gloire de la Société Nationale ; elle fut la petite église où le grand artiste fut honoré, dans un temps où il était ignoré et ridiculisé dehors»** .
Certes, il fut souvent moqué par la plupart de ses contemporains comme une ridicule figure sautillante de notable provincial à la voix grave, coiffé de son chapeau-claque et portant ses éternels favoris en côtelettes. Saint-Saëns lui-même ne se priva pas de rire de ce bonhomme qui « sentait la sacristie à une lieue » ***.
Ce qui n'empêcha pas Franck de continuer à tracer son chemin avec ténacité. « Quand je veux, moi, je veux terriblement bien », confia-t-il en 1885 à une élève****. Il a composé relativement peu d'œuvres et seules quelques-unes ont connu la célébrité, surtout à la fin de sa vie ou peu après sa mort. On peut citer sa musique de chambre, des pièces pour orgue, pour piano, la Symphonie et, en ce qui concerne la musique religieuse, « Panis Angelicus ». Mais elles sont tombées ensuite dans un relatif oubli.

Et pourtant quel héritage!
Le travail de toute sa vie, mené avec une grande lucidité et une non moins grande exigeance, a porté ses fruits : une forme d'expression très personnelle s'est élaborée peu à peu, produisant, à partir de la cinquantaine et jusqu'à la fin de sa vie, des chefs-d'œuvre. Franck, compositeur discret, s'est enfin imposé dans les dernières années de son existence comme un musicien avec lequel il faudrait décidément compter.
Parmi les spécificités de son style, la forme cyclique, qu'il a généralisée. Proche du leitmotiv de Wagner, des « idées fixes » de Berlioz, des transformations thématiques de Liszt, elle consiste à répéter sous diverses formes des thèmes mélodiques avec une ou plusieurs caractéristiques communes. Ce procédé renforce l'unité de l'œuvre, les thèmes s'imposant à la mémoire de l'auditeur.
L'écriture très colorée remplie de subtiles harmonies chromatiques place également Franck au sommet de son époque, du post-romantisme et on lui doit une véritable résurrection de la musique française. Il a ouvert la voie à des musiciens de premier plan tels que Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Claude Debussy, Maurice Ravel, voire Olivier Messiaen.

*Groupe d’élèves de qualité de César Franck et de jeunes compositeurs, dont Vincent d’Indy, Henri Duparc, Arthur Coquart, Albert Cohen, Ernest Chausson entre autres, qui ont contribué à sortir leur professeur de l'anonymat.

** Romain Rolland, Musiciens d’aujourd’hui, Librairie Hachette, Paris,1908

*** Saint-Saëns dans Les idées de Monsieur d’Indy

**** Lettre à une élève, Correspondance de Franck

 

 

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