Association La Joie de Vivre

Schumann et le romantisme allemand

par Jeanne Rosé

Le romantisme, une révolution totale, un mouvement intellectuel et artistique européen. Il apparut dès la fin du 18ème siècle :

  • en Allemagne avec le « Sturm und Drang », représenté essentiellement par Goethe (Werther – 1774) et Schiller ;
  • en Angleterre avec Richardson, Ossian et Byron.

Au 19ème siècle, le romantisme gagna la France où il triompha avec quatre très grands poètes (Lamartine, Vigny, Victor Hugo et Musset), mais aussi au théâtre et dans le roman, dans la musique et la peinture. Il se manifesta également en Italie et en Espagne.
Le romantisme a bouleversé à la fois la sensibilité et l'éthique d'une époque (de 1770 au milieu du 19ème siècle), ses formes d'art et sa pensée philosophique. Il est né en réaction contre la foi absolue dans la seule raison que prônaient les philosophes des Lumières en France et l' « Aufklärung » en Allemagne.
Pour les romantiques, il faut non plus voir, mais croire, croire au pouvoir du sentiment, au génie, à l'innocence, à la sainteté de l'amour et de la nature, chercher l'évasion dans le rêve, dans l'exotisme ou dans le passé. Le romantisme exalte le goût du mystère et du fantastique. Il réclame la libre expression de la sensibilité. Autant de thèmes qui sont en filigrane dans « Le Paradis et la Péri ».

Le romantisme allemand
Aucun pays n'a adhéré de façon aussi absolue au romantisme et ne lui apporta autant de génie que l'Allemagne. Il y fut fantastiquement illustré par une floraison d'écrivains, Hölderlin, Wackenroder, Novalis, Kleist, E.T.A. Hoffmann, Chamisso, Uhland, Heine, pour n'en citer que quelques-uns.
Le nom de « romantisme philosophique » est attribué à un groupe de philosophes allemands de la fin du 18ème et du début du 19ème siècle : Fichte, Schelling, les frères Schlegel, Schleiermacher, auxquels on peut adjoindre Hegel et Schopenhauer.
Ils ont exalté l'intuition, le sentiment, la passion et donnèrent une place prépondérante aux idées de devenir et d'infini. L’Allemagne fut aussi la terre d'élection de la musique romantique : Beethoven fut un romantique par l'inspiration qu'il chercha dans le cœur humain. Le romantisme musical allemand fut représenté notamment par Weber, Schubert, Mendelssohn et Schumann, qui en ont exprimé la sensibilité passionnée.

Schumann, le plus romantique des romantiques
Non seulement Robert Schumann (1810-1856) porta à son apogée la musique romantique, mais sa personnalité, son inspiration, son destin en font une figure romantique par excellence. Il répondit en adepte fervent à tous les appels de son époque.
Schumann fut une personnalité aux aspects contradictoires – d'aucuns parlent d'incohérence, signe d'un précoce déséquilibre -. Conscient de ses contradictions, il inventa dans le cadre de la «Nouvelle Gazette musicale» qu'il créa en 1834 deux personnages imaginaires, Florestan et Eusebius, qui représentent les deux côtés extrêmes de son caractère : Florestan, le passionné, «l'assaillant bruyant et pétulant, mais cédant souvent à des caprices les plus étranges» et Eusebius, le rêveur introverti, «l'adolescent tendre qui toujours reste modestement dans l'ombre».
Schumann trouva dans le Faust de Goethe, qu'il connaissait par cœur et dans «l'Homme qui a perdu son ombre» de l'écrivain romantique Chamisso, cette dualité de l'homme qui le caractérisait.
La calme vie bourgeoise qu'il a menée après son mariage avec Clara Wieck le protégea de la menace de la folie dans laquelle il sombra à la fin de sa vie, entrant progressivement dans un monde de souffrance et d'illuminations. En février 1854 Clara notait dans son journal : «Robert souffre atrocement. Tous les bruits se transforment pour lui en musique, et il dit que c'est une musique si magnifique avec des instruments qui résonnent si splendidement, qu'on n'en a jamais entendus de pareils sur terre.»
Après sa tentative de suicide du 27 février 1856 – il se jeta dans le Rhin -, on le conduisit à l'asile d'Endenich près de Bonn où il mourut le 29 juillet de la même année ; il était parvenu au terme de son voyage au bout de la nuit. Ces vers du grand poète romantique Hölderlin datant de 1803 semblent avoir été écrits pour lui :

Que l'on me tende,
Pleine de sombre lumière,
La coupe parfumée pour que j'aie le repos,
Car le sommeil serait doux sous les ombres.
Dépossédé de son âme,
Il est vain de n'être plus que pensées mortelles.

D'autre part, il a pris en tant que journaliste de la «Nouvelle Gazette musicale» (Neue Zeitschrift für Musik), une position de combat en faveur des compositeurs romantiques, pourfendant les Philistins, c'est à dire les gardiens d'une musique rétrograde, ennemis de toute nouveauté. Avec son talent d'écrivain, sa sensibilité vibrante, sa culture et la finesse de ses jugements musicaux, il porta la critique musicale à son apogée. Pendant dix ans, il dirigea la revue et mena une croisade brillante pour le romantisme musical.
Enfin, sa sensibilité et son art ont trouvé leur source chez les poètes et les penseurs dont les œuvres étaient le credo de la jeune Allemagne romantique. Ses frères d'âme furent :

  • son père libraire qui avait tenté une carrière d'écrivain « Sturm-und-Dränger ».
  • Goethe, Schiller, dont il fut le lecteur passionné, et surtout Jean-Paul Richter, souvent appelé simplement «Jean-Paul», qui a exercé une influence plus profonde encore sur les jeunes romantiques et dont il fit son idole à l'adolescence.
  • les écrivains romantiques, dont l'inspiration était de nature toute musicale. Jean-Paul n'écrivait-il pas : «Lorsqu' emporté par l'émotion je veux l'exprimer, ce ne sont point des mots que je cherche, mais des sons» ?
  • Bach, Mozart et Beethoven en font également partie ainsi que le Français Berlioz, les musiciens romantiques de son époque, dont Mendelssohn, l'ami fidèle, le Polonais Chopin.

Schumann, le plus littéraire des musiciens

Dès son enfance, Schumann a été attiré par la littérature. A l'adolescence, il vécut le dilemme de sa double vocation, poète/musicien, comme une réelle souffrance. Dès l'âge de 12 ans, il s'essayait à l'écriture ; il ébaucha ensuite 2 romans, 3 drames.
Il lui fallait choisir ; ce choix douloureux exigea clairvoyance et courage, même s'il affirmait déjà, à 17 ans : «Il est singulier que là où chez moi le sentiment parle le plus fort, il me faille cesser d'être poète». En 1828, il confiait à son ami Fleschig :
«Devenu homme, je dois montrer ce que je suis». Enfin, dans sa lettre du 30 juillet 1830, lucide et résolu, il faisait état de sa décision à sa mère : après une lutte de vingt ans, parvenu au carrefour, il pensait avoir trouvé le bon chemin, la musique.
C'est donc seulement vers sa vingtième année qu'il entreprit de vraies études musicales avec l'idée de faire de la musique sa carrière. A cette époque, il déclara ouvertement à Frédéric Wieck, son professeur de piano : «Il y a des moments où la musique me possède tout entier».
Son goût et son talent pour l'écriture continuèrent cependant à se manifester par son œuvre de critique musical talentueux dans la «Nouvelle Gazette musicale».
Précisons dès maintenant qu'il a réécrit et adapté la traduction faite par son ami Fleschig du poème de Thomas Moore, «le Paradis et la Péri».
Et ce ne sont pas là les seuls exemples des dons littéraires de Robert Schumann.
C'est avec les «Lieder» qu'il réalisa l'union de la poésie et de la musique. Poésie et musique romantiques se sont en effet retrouvées dans cette forme musicale. Après Schubert, Schumann porta le Lied romantique à son degré de perfection en faisant appel à tous les poètes de son temps.
En accord avec la souffrance de la Péri, certaines parties du «Paradis et la Péri» évoquent les «Lieder» par leur grande mélodie et leur ferveur lyrique.