Association La Joie de Vivre

Le Paradis et la Péri - genèse et synopsis

par Jeanne Rosé

Clara Schumann dit de cette œuvre : "Il me semble que c'est ce qu'il a écrit de plus magnifique".

Naissance de l'oratorio
Après l'année des Lieder (1840), les formes symphoniques l'année suivante, la floraison de quatuors composés en 1842, Schumann rêva d'écrire un opéra. "Savez-vous quelle est ma prière du matin et du soir ? Elle s'appelle opéra allemand. Il faut réaliser cela."
Le Paradis et la Péri fut l'accomplissement préliminaire de cette aspiration. Il fut composé à une époque heureuse de la vie de Schumann : il avait enfin épousé Clara en 1840. Le journal conjugal que Clara et Robert ont tenu à tour de rôle pendant trois ans commence ainsi : "Peu d'événements, plénitude de bonheur".
Le Paradis et la Péri s'inscrit dans ce contexte : "Mon oratorio n'est pas pour l'Église, mais pour les gens heureux." écrivit-il.
Dès 1841, Emil Fleschig, l'ami de jeunesse de Schumann, lui avait présenté sa traduction du roman Lalla-Rookh de Thomas Moore (1779-1852), pensant qu'elle était susceptible d'être mise en musique. Le thème plut tout de suite à Schumann.
Afin d'en faire un oratorio profane, la forme qu'il avait choisie, il se rendit compte qu'une refonte complète du texte s'imposait. Ce travail de réécriture dura deux ans, pendant lesquels il composa parallèlement la 1ère symphonie, esquissa la 4ème, écrivit 3 quatuors à cordes, un quintette et un quatuor avec piano.
C'est seulement en février 1843 que Schumann commença la composition de l'oratorio qu'il termina le 16 juin de la même année.
Le 19 juin il écrivait à un ami : "J'ai achevé vendredi dernier mon "Paradis et la Péri", mon plus grand travail, et aussi je l'espère le meilleur. L'histoire de la Péri est comme écrite pour la musique ; l'idée du tout est si poétique, si pure, que j'en fus entièrement enthousiasmé". L'oratorio fut créé au Gewandhaus de Leipzig le 4 décembre 1843 sous sa direction.

Le Paradis et la Péri, une œuvre romantique
… romantique, elle l'est déjà parce qu'il s'agit d'un conte, avec son univers féerique, merveilleux, fantastique, irrationnel, qui permet toutes les fantaisies. Celui-ci est tiré de Lallah-Rokh du poète irlandais Thomas Moore : à la manière des Contes des Mille et une Nuits traduits au début du XVIIIème siècle par Galland, un conteur y distrait une princesse en lui récitant quatre longs poèmes, dont le Paradis et la Péri.
On trouve dans ce conte les grands thèmes du romantisme :

  • Celui de la Rédemption.
  • Celui de l'Orient, cet Ailleurs auquel les romantiques aspirent dans leur perpétuelle nostalgie. Wackenroder (1773-1798), un des précurseurs du romantisme allemand, voyait dans le conte oriental, issu de l'imaginaire des Mille et une Nuits, un ailleurs fascinant et énigmatique, comme il l'exprima dans le merveilleux conte oriental du saint ermite nu. Pour lui, "l'Orient est la patrie de toutes les merveilles".De même, Frédéric Schlegel (1772-1829), poète et auteur de la théorie de la poésie romantique, affirmait : "C'est en Orient qu'il nous faut chercher le romantisme suprême". Cet intérêt pour l'Orient se manifeste aussi dans Le Divan occidental-oriental de Goethe, et les Roses orientales de Rückert, que Schumann a d'ailleurs mis en musique.
  • Le thème du Paradis Perdu. Une Péri est un génie de la mythologie persane, une créature féminine ailée et d'une grande beauté issue de l'union d'un ange déchu et d'une mortelle.  A cause de cette "faute", la Péri ne peut accéder au paradis. Or, c'est son désir le plus cher. L'ange qui garde les portes de l'Éden lui promet qu'elle pourra y entrer à condition de rapporter "le présent le plus cher aux yeux du ciel".

Première partie
La Péri s'envole d'abord vers l'Inde. Les troupes du tyran Gazna, d'origine turque et fondateur de la dynastie perse des Gaznavides, font régner la terreur sur le pays.
Après une bataille terrible, un jeune homme seul reste face au tyran. Il refuse de se soumettre à l'envahisseur malgré la promesse de Gazna de lui laisser la vie sauve.
Avec sa dernière flèche, il veut tuer le tyran. Mais il manque son but et c'est lui qui meurt. Après la bataille, la Péri recueille la dernière goutte du sang du héros mort, espérant que ce présent lui ouvrira les portes du Paradis.  Ainsi s'achève la première partie.

Deuxième partie
La Péri se présente timidement avec cette précieuse goutte de sang à la porte du Paradis. Hélas l'offrande est refusée ; l'Ange affirme qu'elle doit être "bien plus sainte".
La Péri s'envole alors vers l'Égypte où sévit la Peste. Elle y découvre un jeune homme atteint par la maladie. Il est mourant lorsqu'arrive sa fiancée. Bien qu'il l'ait prévenue du danger mortel qu'elle court si elle l'approche, elle le prend dans ses bras, rafraîchit sa fièvre de ses cheveux trempés dans l'eau fraîche du Nil et meurt en lui donnant un dernier baiser. La Péri recueille le dernier soupir de la jeune fille. Avant de partir avec ce deuxième présent, elle veille les amants morts en chantant une berceuse funèbre.

Troisième partie
Cette partie s'ouvre sur le très joli chœur des Houris ; les Houris sont des vierges vivant au Paradis. Elles seront la récompense des Bienheureux. Après avoir chanté la vie au Paradis, elles exhortent la Péri à ne pas perdre espoir.
La Péri arrive alors à tire d'aile pour déposer son deuxième présent, "les soupirs de l'amour le plus pur".
Deuxième déception ; cette fois encore, l'Ange lui dit que "bien plus sainte doit être l'offrande".
Courageusement, la Péri s'envole à nouveau à la recherche du plus précieux des dons malgré les moqueries des autres Péris. Elle descend vers la Syrie et, en volant au dessus de Baalbeck, elle voit un enfant innocent qui joue et chante au milieu des roses sauvages. Mais là aussi, le Mal menace : après la guerre et la peste, il se manifeste en la personne d'un brigand, d'un assassin qui arrive à cheval, s'apprêtant à s'en prendre à l'enfant. C'est alors que, devant l'enfant en prière, l'homme se rappelle ses forfaits, puis l'enfant innocent et pur qu'il a été lui aussi. Il verse des larmes de repentir et est pardonné.
La Péri apporte ces larmes de la rédemption au ciel et ce sont elles qui lui ouvrent les portes du Paradis. Qu'y a-t-il en effet de plus précieux que l'innocence d'un enfant ?
Elle chante alors sa joie et le chœur des Bienheureux l'accueille en lui souhaitant la bienvenue dans le jardin d'Eden.
La figure de la Péri correspond dans une certaine mesure à l'idéal féminin de Schumann : elle incarne certes la fragilité féminine, mais surtout la foi dans le succès de sa mission et elle est toujours guidée par les sentiments.
Ce conte romantique, onirique, fantastique est servi par la grande variété de l'écriture musicale ; Schumann sait allier dans cet oratorio lyrisme, flamboyance, douceur, exaltation et passages dramatiques. Alors ne résistons pas ; laissons nous emporter par le charme du conte et de la musique de Schumann.

Sources :
ROGER AYRAULT – La genèse du romantisme allemand – Aubier – Editions Montaigne
Dictionnaire encyclopédique de la musique – Robert Laffont
LUCIEN REBATET – Une histoire de la musique – Robert Laffont
ANDRE BOUCOURECHLIEV – Schumann – Seuil